dimanche, février 11, 2007
Le mangeur de carte orange
"" Ce n'est pas exactement une histoire mystérieuse, mais j'ai une histoire de RER, qui date d'une dizaine d'années. Je n'en ai pas été moi-même le témoin, mais, connaissant bien ce dernier (un collègue de travail), je suis absolument persuadé de son authenticité.
Donc, le gars qui me raconte rentre chez lui après une dure journée de labeur, par le RER A. Il y a pas mal de monde dans la rame, mais il reste quelques places assises libres. A Nation, une vieillarde (de mise correcte, hein, pas une femme saoule, apparemment en pleine possession de ses moyens) monte et s'assoit près de lui, juste en face d'un jeune homme qui se trouve être aussi noir qu'un corbeau.
A peine installée, elle lance à la cantonade un retentissant : "Ça pue le nègre, ici." L'assistance éberluée lève les yeux de son Paris Boum-Boum (20 minutes n'était pas encore inventé) pour échanger des regards incrédules. Le jeune black ne moufte pas. Peut-être vexée de son calme apparent, ou au contraire fière du petit effet de sa saillie initiale et désireuse de s'affirmer comme l'incontestable auteur de ce trait d'esprit superbe de finesse et d'à-propos, la vioque réitère : "Ça pue le nègre, ici."
Tous les regards se tournent vers le jeune noir, qui, à nouveau, reste totalement impassible. Et, comme beaucoup sûrement, mon copain hésite entre la tentation d'intervenir pour moucher l'autre crevure et le choix peut-être sage de ne pas faire monter la mayonnaise en répondant à la provocation manifestement volontaire d'icelle, comme le fait sa victime.
L'arrivée du train à la station Gare de Lyon met un terme au moins provisoire à ces atermoiements, puisqu'une joyeuse bande de contrôleurs RATP entre au bout du wagon et entame son rituel d'examen systématique des billets. Comme les autres, la harpie sort son coupon de carte orange, non sans maugréer contre l'injustifiable effort auquel l'obligent ainsi à la fois une administration insupportable et les excès des sauvageons qui voyagent à l'oeil. Et, ticket en l'air, elle attend le peuple en costume vert.
Avec la vivacité inhérente à sa race, celle de ceux qui, depuis leur plus jeune âge, ont dû disputer leur pitance au python et au tamanoir, le black attrape le coupon, et il le bouffe.
La mégère pétrifiée de surprise a à peine le temps de bafouiller un caprin "Mais... Mais..." que la voix de la maréchaussée souterraine lui adresse sa mélopée familière : "Coooontrôle des billets, siouplééé". La vieille peau se décompose. "Mais... Mais c'est l'autre qui l'a mangé", fait-elle (sous elle) en montrant du doigt le ticketovore, vers lequel se tournent à nouveau les regards de tous dont le contrôleur. Toujours sans un mot, l'homme affiche une face que dispute la surprise à l'innocence bafouée. Et, autour de lui, et non sans réprimer un sourire, les passagers manifestent leur sidération devant le ridicule de l'accusation de l'autre tromblon.
"Madame, je vous demande de me suivre...
- Mais... Mais...
- Madame, je vous demande de me suivre, maintenant..."
Et la grognasse a disparu à Châtelet-Les Halles, encadrée par la police du métro, en maudissant le probable cannibale et la cohorte des veaux qui s'étaient tus devant le crime.
Racontez-la, ça fait toujours plaisir, une histoire vraie qui finit bien. ""
in Télépoubelle, blog dont le génie m'épate au quotidien. Son auteur anime aussi le très fin Course à l'Elysée.
Donc, le gars qui me raconte rentre chez lui après une dure journée de labeur, par le RER A. Il y a pas mal de monde dans la rame, mais il reste quelques places assises libres. A Nation, une vieillarde (de mise correcte, hein, pas une femme saoule, apparemment en pleine possession de ses moyens) monte et s'assoit près de lui, juste en face d'un jeune homme qui se trouve être aussi noir qu'un corbeau.
A peine installée, elle lance à la cantonade un retentissant : "Ça pue le nègre, ici." L'assistance éberluée lève les yeux de son Paris Boum-Boum (20 minutes n'était pas encore inventé) pour échanger des regards incrédules. Le jeune black ne moufte pas. Peut-être vexée de son calme apparent, ou au contraire fière du petit effet de sa saillie initiale et désireuse de s'affirmer comme l'incontestable auteur de ce trait d'esprit superbe de finesse et d'à-propos, la vioque réitère : "Ça pue le nègre, ici."
Tous les regards se tournent vers le jeune noir, qui, à nouveau, reste totalement impassible. Et, comme beaucoup sûrement, mon copain hésite entre la tentation d'intervenir pour moucher l'autre crevure et le choix peut-être sage de ne pas faire monter la mayonnaise en répondant à la provocation manifestement volontaire d'icelle, comme le fait sa victime.
L'arrivée du train à la station Gare de Lyon met un terme au moins provisoire à ces atermoiements, puisqu'une joyeuse bande de contrôleurs RATP entre au bout du wagon et entame son rituel d'examen systématique des billets. Comme les autres, la harpie sort son coupon de carte orange, non sans maugréer contre l'injustifiable effort auquel l'obligent ainsi à la fois une administration insupportable et les excès des sauvageons qui voyagent à l'oeil. Et, ticket en l'air, elle attend le peuple en costume vert.
Avec la vivacité inhérente à sa race, celle de ceux qui, depuis leur plus jeune âge, ont dû disputer leur pitance au python et au tamanoir, le black attrape le coupon, et il le bouffe.
La mégère pétrifiée de surprise a à peine le temps de bafouiller un caprin "Mais... Mais..." que la voix de la maréchaussée souterraine lui adresse sa mélopée familière : "Coooontrôle des billets, siouplééé". La vieille peau se décompose. "Mais... Mais c'est l'autre qui l'a mangé", fait-elle (sous elle) en montrant du doigt le ticketovore, vers lequel se tournent à nouveau les regards de tous dont le contrôleur. Toujours sans un mot, l'homme affiche une face que dispute la surprise à l'innocence bafouée. Et, autour de lui, et non sans réprimer un sourire, les passagers manifestent leur sidération devant le ridicule de l'accusation de l'autre tromblon.
"Madame, je vous demande de me suivre...
- Mais... Mais...
- Madame, je vous demande de me suivre, maintenant..."
Et la grognasse a disparu à Châtelet-Les Halles, encadrée par la police du métro, en maudissant le probable cannibale et la cohorte des veaux qui s'étaient tus devant le crime.
Racontez-la, ça fait toujours plaisir, une histoire vraie qui finit bien. ""
in Télépoubelle, blog dont le génie m'épate au quotidien. Son auteur anime aussi le très fin Course à l'Elysée.